Un plan A pour l'Europe: réponse à la Tribune de Mélenchon et Varoufakis
Le texte "un Plan B pour l'Europe" présenté il y a quelques jours par Jean-Luc Mélenchon, Zoe Kostantopoulu, Yanis Varoufakis et Stefano Fassina, a le mérite d'appeler à l'aide contre les politiques économiques, les méthodes technocratiques et autoritaires, l'argument du "Il n'y a pas d'alternative" qui ont caractérisé l'Union européenne guidée par des forces conservatrices.
Mais ils se trompent de cible, en visant l'euro. De plus, le texte reste ambigu sur la bataille à mener pour obtenir une démocratie supranationale et cultive l'illusion que nous pouvons détruire l'UE pour après la reconstruire. C'était la même illusion du front du NON au référendum de 2005 en France : la bataille européenne a tout de suite été abandonnée en laissant le champ libre aux forces conservatrices et en prônant un retour de la souveraineté nationale, pour se venger de la "bureaucratie" européenne.
La référence constante à la notion très désagréable de "périphérie" démontre un complexe d'infériorité par rapport au "centre" pour le moins déplacé. Parce que les fronts sont partout mélangés, nuancés et difficiles à classer. Inutile de se construire des nouvelles frontières.
De plus, peut-être parce que les signataires sont tous des marxistes - ils tombent dans la même logique que leurs adversaires ; ils pensent que l'UE n'est rien de plus qu'une construction économique: ils la considèrent essentiellement comme une construction mal faite par une bande de néolibéraux sans coeur, et dont il faut se débarrasser au plus vite avec une révolution radicale.
En revanche, moi, qui n'ai jamais cru aux vertus de la révolution, je pense qu'il faut bien s'organiser et se mobiliser, mais selon des priorités et des mots d'ordre différentes.
Si le front anti-austérité et antipopuliste se divise et perd du temps à se convoquer pour définir des modèles compliqués de monnaies alternatives ne passionnant personne, nous risquons de faire gagner éternellement Merkel, Rajoy ou Orban et de prolonger la subordination idéologique de la social-démocratie européenne à la logique de la discipline de l'équilibre budgétaire à tout prix.
Je suis convaincue que, aujourd'hui plus que jamais, la nette défaite en Grèce de la Nouvelle Démocratie et d'Unité populaire, avec leurs ambitions nationalistes et "fossiles", soit indispensable. Je suis également convaincue qu'il faut une large alliance contre Mas en Catalogne, Rajoy en Espagne et Passos Coelho au Portugal, même si cela signifie être moins durs et purs. Et Corbyn, nouveau gagnant contre le modèle du New Labour, doit clarifier sa position sur l'Europe, en coupant net avec le populisme nationaliste de Cameron et du UKIP.
En bref, s'il est vrai que la démocratie grecque a été "écrasée" dans les négociations sur le triste mémorandum, il est également vrai qu'on ne peut pas penser de mettre en opposition les démocraties grecque, finnoise ou allemande.
La responsabilité de cette crise sur la dette grecque, d'ailleurs, est non seulement du fait de Tsipras, mais dans ce cas également de Renzi et Hollande. Ils n'ont pas voulu poursuivre à temps une ligne différente, comme ils l'auraient pu très bien faire ; surtout si les écologistes, et les forces libertaires et de gauche étaient plus unies et influentes dans les deux pays. Si Juncker est là au pouvoir, c'est parce que, malgré des années d'austérité et de recettes mauvaises, le Parti Populaire Européen a remporté les élections européennes en 2014. Il a gagné parce que parmi les 50% des électeurs choisissant de ne pas aller voter, il y en avait aussi beaucoup protestant contre les politiques de l'UE. Ce faisant ils n'ont pas fait grand chose pour changer les majorités conservatrices qui les mettent en œuvre.
C'est la politique! Il n'y a pas de raccourci. Pour gagner, on doit convaincre, souvent en travaillant dans le black-out médiatique et contre d'une propagande facile et brutale ; en revanche, nous aurions besoin des voix sages et capables de construire de convergences et des alliances.
Voilà pourquoi je trouve dommage que des gens si médiatiques que les signataires utilisent de façon si peu constructive leur notoriété. Non pas que j'attendais quelque chose de souverainistes conservateurs comme Oskar Lafontaine et Jean-Luc Mélenchon. Mais je suis surprise que des amis comme Yanis Varoufakis et Stefano Fassina aient choisi ces alliés face au défi très important de changer l'Europe.
Dans ce Plan B pour l'Europe, il y a des contradictions graves. Premièrement, si le plan B est après le Plan A, on ne comprend pas pourquoi alors ne pas concentrer toute l'attention pour gagner la bataille principale et pourquoi demander la convocation d'une "initiative internationale" sur le Plan B: c'est a dire, la sortie de l'euro pour le remplacer on ne se pas trop avec quoi. Peut-être que l'euro ne nous "protège pas de la crise", mais il est clair que si demain nous revenions à la drachme, à la lire, ou au franc, l'épargne et les salaires ne vaudraient pas grande chose, les importations coûteraient très chères et l'avantage économique d'une dévaluation serait rapidement effacé par des nouvelles frontières et obstacles que les pays restant dans l'euro opposeront à nos produits. En outre, le dommage politique et psychologique de la fin de la monnaie unique en temps de Brexit et de relance des frontières, serait le coup de grâce pour l'Union européenne.
D'ailleurs, je ne comprends pas bien la différence entre la monnaie unique et une monnaie commune. Il est aussi dit que, en fait, le plan B doit être prêt au cas où le Plan A ne fonctionne pas. Même ici, il y a un peu de confusion dans l'argumentation. D'une part, il est dit à juste titre que nous devons lancer une bataille pour la réforme des traités et pour le changement radical de politique. De l'autre, on propose une initiative visant à briser l'UE - ou l'UE actuelle - et on prône la sortie de l'euro en appelant à s'organiser au niveau des États. Ce serait comme si Obama, plutôt que lutter pour le "Yes, we can" pour tous les Américains, avait proposé la dissolution des États-Unis et la sortie du dollar pour battre les Républicains et le Tea party. Ou si pour construire une alternative au "Parti de la nation" de Renzi nous visions à revenir à la Ligue des municipalités et au florin.
En bref, il s'agit d'une action d'arrière-garde, qui est et restera une option minoritaire, sauf si on veut faire alliance avec les Le Pen et Salvini. Cependant, il est vraiment nécessaire de ne pas laisser entre les mains de la droite européenne l'avenir de l'UE, certainement un projet encore inachevé, mais précieux pour le futur de notre vieux continent.
La bataille qui nous attend doit à mon avis être lancée sur deux points principaux, le changement radical des politiques et la démocratisation supranationale du cadre institutionnel: d'une part le dépassement de la politique de l'austérité et de l'autre la relance de la Constitution européenne, parce que, qu'on le veuille ou pas, les petits États européens qui aujourd'hui bloquent toute action positive par illusion de garder leur souveraineté comme au XIXe siècle, seront de plus en plus insuffisants dans le futur. Alors laissons de coté un Plan B qui préfigure déjà la défaite, et fonçons sur le plan A d'une nouvelle Europe.
http://www.huffingtonpost.fr/monica-frassoni/tribune-varoufakis-melenchon_b_8169420.html