Hier, parmi les innombrables hommages rendus à la figure de David Sassoli, President du Parlement européen et décedé dans la nuit du 11 janvier, je suis tombé sur un post sur Instagram de Francesca Cucchiara, conseillère municipale verte à Milan, qui contenait un passage d'une lettre que Sassoli lui-même avait envoyée à son prédécesseur, Antonio Tajani, dans laquelle il lui demandait d'ouvrir les portes du PE la nuit aux sans-abri "parce qu'il est douloureux de voir tant de personnes chercher refuge dans le froid intense dans les coins du bâtiment qui nous abrite à Bruxelles". Cela m'a immédiatement fait penser à un épisode que j'aime rappeler ici.
David Sassoli, une fois qu'il a pris la place de Tajani et en pleine pandémie, a vraiment ouvert les portes du Parlement européen, en aménageant en un temps record un refuge pour femmes sans abri une partie du bâtiment dédié à Helmut Kohl, laissé vide pour COVID-19 - et qui se trouve d'ailleurs sous les fenêtres de mon appartement.
À Bruxelles, comme dans de nombreuses villes européennes, la pandémie a durement touché les femmes et les épisodes de violence et detresse ont augmenté, créant de véritables situations d'urgence.
D'avril à fin août 2020, un total de 279 femmes, sans abri en raison de la pandémie et/ou victimes de violences, ont été logées dans des bureaux transformés en chambres confortables. Peu de personnes en dehors du PE sont au courant de cette initiative, prise directement par David Sassoli, par le biais d'un accord avec la Région bruxelloise, qui a confié la gestion de la structure à une association spécialisée dans l'aide d'urgence et l'assistance aux sans-abri, le Samusocial. J'en ai été informé car nous en avons discuté tres brièvement au Conseil municipal d'Ixelles, que je préside, à la demande de certains membres de l'opposition qui objectaient au fait que l'ouverture d'une telle structure, au delà des intentions,et qui plus est, sans une implication directe de la Commune, pouvait créer des problèmes de sécurité. À cela, le maire Doulkeridis a répondu que la municipalité se chargerait d'augmenter la surveillance en cas de besoin, et la discussion etait close. Au cours des semaines suivantes, heureusement caractérisées par un printemps particulièrement lumineux, il était fréquent de croiser dans l'espace vert du Square de Meeus de nombreuses femmes de différentes origines, souvent au visage marqué, discutant tranquillement ou profitant du soleil. Et il n'etait pas rare, la nuit, d'entendre des cris d'hommes et parfois une sirène de police. Une immersion extrêmement instructive dans une vie bien réelle au cœur du quartier européen.
Cela m'a immédiatement frappé comme une initiative de solidarité concrète de la part d'une institution qui est habituellement perçue comme distante de la ville hôte et de ses problèmes, mais qui, avec David Sassoli, a agi rapidement, sans pompe et avec du concret.
Car il ne s'agissait pas d'une simple "opération de stationnement" temporaire, qui aurait été certes méritoire dans cette situation dramatique. Comme l'expliquent les responsables de l'association, "les moyens mis à disposition étaient sans précédent et ont permis d'offrir aux femmes accueillies un accueil permanent de qualité, mais aussi et surtout un encadrement et un soutien optimal dans la recherche de solutions. En effet, durant ces 16 semaines, les 40 travailleurs affectés au Square de Meeûs ont accueilli et accompagné 279 femmes, dont 64 ont été orientées vers des solutions permanentes pour quitter la rue. L'initiative du Square de Meeûs marque une étape décisive, un tournant dans l'accueil des femmes sans abri en région bruxelloise. En effet, c'est la première fois dans notre région que ce groupe de personnes particulièrement vulnérables peut être hébergé gratuitement dans un centre entièrement féminin. Dans un souci de sécurité et d'entraide, il est essentiel de mettre à la disposition des femmes sans logement des centres d'hébergement non mixtes (.....). C'est pourquoi nous avons ouvert fin août un centre pour femmes à Molenbeek, qui accueille et accompagne 75 anciennes résidentes du centre du Square de Meeûs."
Une trace forte et émouvante de cette belle histoire est restée dans l'exposition "Femmes", fruit d'une collaboration entre le photographe Gaël Turine et la journaliste Anne-Cécile Huwart, qui ont choisi de raconter en images et en mots l'histoire de 15 des femmes hébergées au Square de Meeûs.
Je pense qu'il ne peut y avoir de meilleur hommage à l'homme David Sassoli que de rappeler une de ses initiatives qui n'a peut-être pas été importante pour l'histoire de l'Europe, mais qui a certainement été significative en ce qu'elle a permis de saisir sa générosité et son empathie.
12 janvier 2022